~ LE CONVIVUM SLOW FOOD CHAMPAGNE ~
Edito (billet d'humeur)
Présentation - Edito (billet d'humeur) - Le mot du Président

 

VIGNERONS DANS NOS APPELLATIONS

Un grand débat vient d'être lancé officiellement quant à l'avenir des vins français. Jean Glavany, ministre de l'Agriculture, a demandé un texte qui puisse " fixer les objectifs et les moyens à mettre en œuvre en termes humains, réglementaires et financiers pour une stratégie gagnante des vins français à l'horizon 2010 ".

A la suite de son rapport remis au cours de l'été 2001, Jacques Berthomeau anime un comité de pilotage formé de six représentants de monde viticole afin de susciter le débat avec tous les autres professionnels du vin et amener des propositions pour février 2002.

Dans son rapport, Jacques Berthomeau s'attache essentiellement à analyser et proposer des pistes de travail pour ce qu'il appelle " nos vignobles génériques : ceux qui dégagent de gros volumes d' A.O.C. ou de Vin de Pays " dans le contexte de la mise en cause des vins français comme référence qualitative et leader sur les marchés dans le monde entier.

Mais Jacques Berthomeau inscrit son travail dans une perception d'ensemble du vignoble français en considérant ses points forts, ses problèmes et ce qui le menace. Jacques Berthomeau, dans les solutions qu'il propose, ne souhaite pas remettre en cause, mais au contraire revaloriser, ce qu'il appelle en substance " notre modèle de structuration de notre ressource vin : l'origine de nos A.O.C. et de nos V.D.Q.S. c'est à dire des vins produits dans une région déterminée ". Il souhaite, pour avancer dans ce sens, " un travail collectif où les intérêts forcément contradictoires de la filière se confronteront au réel pour définir le champ du possible, formuler des propositions opérationnelles… ".

Nous sommes des vignerons de diverses régions de France et nous souhaitons nous inscrire pleinement dans ce débat. Nous voulons poser la question du contenu de l'Appellation d'Origine Contrôlée et des conceptions et pratiques des procédures d'agréments qui définissent de fait actuellement ce contenu.


QUELQUES REFLEXIONS ET PROPOSITIONS


TERROIR ET ENVIRONNEMENT

Parmi les quatre objectifs proposés du " nouvel élan des vins français pour 2010 " (page 23 du rapport Jacques Berthomeau), nous avons relevé le premier : " devenir leader en matière de pratiques respectueuses de l'environnement ".

Nous sommes de sensibilités, de cultures, d'origines diverses. Chacun a sa propre histoire de vigneron. Pourtant un même fil conducteur nous relie. Nous ne nommons pas ce fil conducteur de façon générique " respect de l'environnement ", mais nous le développons sous de multiples aspects : volonté que chaque vin soit la pleine expression de son propre terroir, que chaque vin soit gourmand, sain, grand et structuré quand les conditions du millésime le permettent... avant tout, des vins qui donnent envie de les boire, des vins simplement et seulement issus du jus des raisins de nos vignes, des vins ayant le caractère spécifique de nos cépages patriculiers, de nos territoires particuliers, de nos caractères particuliers... Notre volonté commune est de travailler notre terre en respectant la nature, en artisan soucieux de la recherche d'harmonie entre la nature et l'homme... Nous avons bien conscience que nous sommes simplement " responsables de la terre de nos enfants "...

Nous n'avons pas systématiquement cherché à avoir un label " bio " ou " biodynamie ". Nos pratiques à la vigne et à la cave ne pourraient être réunies en une charte stricte.

Nous pouvons cependant tenter de relier l'essentiel de nos pratiques communes en disant qu'elles privilégient la vie du sol, le travail du sol, la recherche des terroirs, les sélections massales, notre attachement aux cépages " historiques " et le refus de l'implantation galopante des cépages " standards ", les amendements organiques, la recherche de la bonne santé de la vigne par l'équilibre naturel, le refus des O.G.M., l'utilisation sourcilleuse des produits phytosanitaires, la recherche de bonnes maturités, les vendanges manuelles, le respect de la diversité des millésimes, le refus de la chaptalisation systématique, les fermentations naturelles, les élevages spécifiques, la faible ou la non utilisation du SO2, le minimum ou l'absence de filtration, le refus d'une définition standard du goût de nos vins par une certaine conception de l'œnologie et du marché, la possibilité d'expérimentation et le questionnement concernant divers aspects de notre travail, le respect de notre histoire, de nos racines...

Notre attachement à ces pratiques fait que nous sommes devenus minoritaires dans nos appellations.

La viticulture dans les aires d'A.O.C. a été, en effet, profondément bouleversée dans les années 1960-1980.
L'abandon du travail des sols, les désherbants chimiques, les engrais chimiques, les molécules phytosanitaires aux effets mal connus ou s'avérant désastreux, les clones " hyperproductifs ", la chaptalisation systématique, voire la sur chaptalisation, l'explosion des rendements, l'utilisation souvent abusive du soufre ont nécessairement modifié les vins ainsi produits... qui sont actuellement la référence majoritaire de l'expression des terroirs dans les aires d'A.O.C..

Ces pratiques agressives appliquées à la vigne, au vin et à notre planète semblent connaître une remise en cause. Elles sont cependant, à ce jour, encore largement majoritaires. Il est encore trop tôt pour dire quelle en sera l'évolution.

En effet, l'implantation très rapide dans tout le vignoble, surtout dans les A.O.C. les plus " prestigieuses ", d'outils divers de concentration artificielle (osmoseur, etc...) ne nous rassure pas vraiment quant à l'éthique présidant aux solutions de remplacement des pratiques agressives énumérées précédemment. Ces outils de concentration pertubent gravement la notion de référence future dans l'expression de chaque terroir...

Même minoritaires au sein de nos appellations, nous continuons de revendiquer pleinement notre place dans nos vignobles d'A.O.C. et nous soutenons des conceptions qui permettent d'élaborer nos vins avec l'expression de leur terroir sans que nos pratiques soient en rien dépassées.

" L'observation des grandes tendances de l'alimentation montre un retour aux valeurs sûres, à l'authenticité, à l'origine car elles rassurent. La définition du vin comme étant un produit issu de la fermentation du jus pressé du raisin, c'est un peu l'image de l'huile extra vierge de la nature en bouteille " (Jacques Berthomeau, page 81).

Nous tenons à nos choix respectueux de la nature et des hommes, nous voulons continuer à vivre notre métier de vigneron comme nous l'aimons et comme l'essentiel des amateurs de vins nous demande de continuer à le vivre dans ce rapport au terroir, à la nature et au monde.

Nous tenons à la conception des A.O.C., nous pensons qu'elles expriment les bases fondamentales de notre civilisation du vin issue de siècles de travail, d'expérience, de culture du vin en France.


AGREMENT SOCIAL - DESAGREMENT ASOCIAL

Par la conception et le fonctionnement actuels de la procédure d'agrément des vins d'A.O.C., nos vins, ou certains d'entre eux, sont menacés à court terme d'exclusion du label des A.O.C.

Depuis plusieurs années, nous nous heurtons à des situations inconvenables et insupportables. Le système d'agrément doit bien sûr permettre d'exclure certains vins ne respectant pas les conditions de base de l'appellation.

Mais à l'heure actuelle, l'agrément est accordé à de nombreux vins avec des défauts pour ne pas mettre le producteur en difficulté économique : c'est " l'agrément social " bien connu.

Et simultanément, on pourrait dire, par dérision que nos vins subissent très souvent " le désagrément asocial " puisque leur tort est d'être différents, minoritaires. Nombre de nos vins sont refusés plusieurs fois et doivent affronter un vrai parcours du combattant coûteux, épuisant, humiliant. Parfois, ils n'obtiennnent l'agrément que par un jury spécialement constitué. Parfois, nous sommes obligés de présenter des vins ... " différents ". D'autres fois, ils sont déclassés en Vins de Pays ou en Vin de Table...

Les motifs de déclassement sont, sauf exception, liés à notre position minoritaire dans une région, dans un type de vin ou dans la culture dominante du vin (aussi bien sur des critères analytiques qu'organoleptiques). On peut recenser pèle mêle et sans exhaustivité l'élevage en barriques( ! ), l'absence d'élevage en barriques ( !! ), les fermentations malolactiques " tardives ", le " manque de soufre " ( !!! ), la " réduction " (en fait un style d'élevage et de vin assimilé à un défaut), des sucres résiduels dans certaines appellations de vins blancs secs dans lesquelles la norme est plutôt de vendanger moins mûr et chaptaliser qu'attendre plus de maturité, des présences de CO2 " trop importantes " alors qu'elles sont voulues, des degrés d'alcool acquis et des acidités volatiles " incorrectes " en particulier sur des vins liquoreux obtenus naturellement par le seul botrytis, des vins jugés trop " petits " pour l'appellation alors qu'ils respectent la vérité du millésime, sans concentration artificielle... Berf, des vins qui sont déclarés " atypiques " ou " non-représentatifs " de l'appellation alors même que les conditions de culture de la vigne et que l'élaboration de ces vins ne permettent qu'à un minimum de paramètres extérieurs au terroir d'intervenir... contrairement aux vins " typiques "...


A.O.C. OU A.M.C. ?

René Renou, Président du Comité vins de l'I.N.A.O., déclarait en avril 2001 à " Que Choisir " : " Aujourd'hui, la viticulture française est écartelée entre une viticulture à la recherche de son identité terroir et une autre composante, plus industrielle, pour laquelle l'A.O.C. constitue un gage commercial . Les viticulteurs doivent prendre conscience que leur appellation est une marque collective à défendre et non un syndicat de défense de leurs revendications. Ils sont les gardiens d'un patrimoine national en péril. Ils ont cinq ans pour se ressaisir ".

En septembre 2001 René Renou déclarait dans " Gault-Millau " : " J'insiste sur le terme 'défense des A.O.C.' et non 'défense des professionnels'... En effet, la terre, la vigne et le vin appartiennent au vigneron, mais l'A.O.C. appartient au patrimoine national et est donc gérée par le gouvernement au nom de l'Etat ".

Actuellement, l'agrément est essentiellement fondé sur des critères d'analyses et de dégustation qui ne sont rien d'autre que l'expression des cultures et des pratiques majoritaires en cours.

Il y a confusion entre majorité professionnelle et propriété collective, intérêts corporatistes et patrimoine national, niveau moyen de l'appellation et typicité, majorité et origine.

l'Appellation d'Origine Contrôlée est donc plutôt une Appellation Majoritaire Contrôlée.

Les agréments tels qu'ils existent sont en train de tuer les appellations en définissant comme norme une " typicité " qui n'est rien d'autre qu'un système de standardisation par le niveau moyen en tuant toute la créativité et la diversité de notre métier.

A notre avis, l'appellation n'est pas la définition d'un processus visant à l'élaboration de vins uniformes et standards dont la qualité serait garantie par une analyse qualifiée de sensorielle, mais bien plus la volonté de vignerons d'élaborer des vins dans un cadre géographique, géologique, climatique, historique et culturel spécifique laissant à chaque personnalité la possiblité de s'exprimer.

Dans notre esprit, un cahier des charges ne doit pas être un carcan réducteur et castrateur mais bien au contraire un cadre dans lequel la qualité de nos terroirs et le talent des vignerons puissent s'exprimer dans la richesse de leur diversité et de leur complexité.


LES OUTILS

Dans son rapport, Jacques Berthomeau décrit " trois principaux outils collectifs de pilotage du vignoble : le contrôle des conditions de production à la parcelle, la dégustation et le suivi aval ".

Pour le premier outil, il écrit : " On ne peut, sur un sujet aussi important pour notre crédibilité internationale, se contenter d'un effet d'annonce suivi d'un tortillard avançant au rythme des intérêts contradictoires des uns et des autres. ( ... ) sinon nous nous serons privés d'un instrument indiscutable pour renforcer le socle de notre système d'A.O.C., ce terroir, cette typicité du terroir que le nouveau " groupe de cairns du vin " entend bien lézarder et mettre à bas ".

Le contrôle des conditions de production à la vigne devrait sans doute être l'outil primordial de la démarche de " contrôle de l'appellation ". Mais quels seront les critères d'expression du terroir ? L'analyse des résidus de molécules chimiques dans les sols, l'examen de la vie des sols, la présence de quelques adventices ? Qui fixera ces critères ?...

Le deuxième outil est l'agrément qui comprend l'examen analytique et organoleptique des vins, procédures récentes dans l'histoire de nos appellations.

Dans les deux cas, nous sommes confrontés au problème des normes : par qui, comment sont-elles fixées ?

L'examen analytique conçu comme un outil de standardisation est axé sur les conditions dominantes de production. un œnologue tel que Michel Rolland a pu faire remarquer récemment que ce système était tellement absurde qu'une bouteille reconnue comme une des plus belle réussite du siècle, Château Cheval-Blanc 1947, serait refusée aujourd'hui à l'agrément sur les critères analytiques actuels de l'appellation. L'analyse devrait être un outil d'aide à la compréhension et à l'accompagnement des vins, et non une guillotine pour mettre aux " normes " la nature et la personnalité du vigneron.

La dégustation est, nous l'avons dit, l'outil actuel redoutable de banalisation de nos appellations. Une réforme fondamentale est nécessaire dans sa fonction d'abord : être au service de l'appellation, c'est accompagner la richesse et la diversité de nos terroirs et des vignerons. Dans ses outils ensuite : la prise en compte des travaux les plus récents sur le goût du point de vue de la physiologie humaine et des cultures est indispensable.

Au lieu d'être cet instrument de standardisation, la dégustation doit devenir un outil du contrôle du respect de la diversité...


L'I.N.A.O.

L'I.N.A.O. n'a pas pour vocation d'être une simple chambre d'enregsitrement d'intérêts corporatistes particuliers. Il doit avoir un rôle de régulation de ces intérêts corporatistes et doit aussi provoquer des impulsions d'orientations à long terme.

Tous ces outils de contrôle de la vraie richesse de nos appellations ne peuvent être pertinents que s'ils sont pilotés en permanence avec une vision d'ensemble et que s'ils ne sont pas abandonnés à des intérêts partiels à courte vue.

La défense des A.O.C. implique que l'I.NA.O. prenne la part de ses responsabilités par des moyens appropriés à sa mission. " La puissance publique doit choisir " (J. Berthomeau).


RENOVER LES A.O.C.

A la page 64 de son rapport, Jacques Berthomeau cite les propos d'un intervenant anglo saxon lors d'une rencontre en mars 2001 : après une analyse des atouts des vins du nouveau monde, celui-ci détaille des " recommandations stratégiques pour la France : capitaliser, d'une part, sur les spécificités des vins français par rapport aux vins du nouveau monde et trouver l'équilibre, d'autre part, entre la simplicité du message à transmettre au consommateur et à la complexité de l'offre que requièrent les vrais amateurs de vins ".

Jacques Berthomeau conclue ainsi son rapport : " on entend, on lit souvent que nos vins doivent s'adapter au goût du consommateur. Ce singulier me désarme. ( ... ) Alors aujourd'hui, faut-il que le vin fasse un tel effort, qu'il se plie à l'hégémonie du goût sucré, des saveurs fruitées, des arômes ? ( ... ) Alors, méfions-nous, évitons d'entonner le discours de la nécessaire standardisation du goût des vins pendant que nos concurrents du nouveau monde annexeraient sans vergogne nos valeurs traditionnelles". Le goût du vin, c'est bien plus qu'une banale affaire de papilles, même si, bien évidemment, l'art de la dégustation reste le bon chemin pour apprécier, mémoriser, développer sa culture des vins. Le vin, on en parle... c'est une civilisation, une manière d'être ".

L'image forte de la viticulture française dans le monde, utilisée par toute la profession sur les marchés étrangers, était jusqu'à présent celle d'une viticulture quasi artisanale, de l'amour du terroir, de la diversité, de la cristallisation d'un lien ancien, unique, violent entre des terroirs viticoles revendiqués comme les plus beaux du monde et des vignerons se transmettant de génération en génération l'expérience, le savoir faire, l'intuition...

Cette image s'est déjà considérablement dégradée et la presse anglo-saxonne ne se prive pas d'en éclairer tous les trompe l'œil.

Pourtant cette image correspond encore pour nous à ce que nous vivons, ressentons. Nous nous y sentons à notre place et nous voulons la pérenniser.

Pour que cela soit possible, pour que le disours sur l'environnement et le terroir ne devienne pas un argument de communication creux, pour permettre à la viticulture française de maintenir ses valeurs dans un environnement international très concurrentiel et dans une société mouvante, il nous semble donc urgent de remettre en cause les outils actuels de sa standardisation et de sa perte d'identité.

Il est nécessaire de forger de nouveaux outils aptes à revivifier et mettre en valeur l'héritage culturel, le génie créateur, la profonde diversité, en un mot la vraie richesse de nos terroirs et de nos vignerons.

BAUDOUIN Patrick, 0241786604 - Des LIGNERIS François, 0557247223 - PARCÉ Marc, 0468881345 - THEVENET Jean, 0385369403

 

Slow Food® Champagne ® 2003-2004. Tous droits réservés.
Crédits : Packdelait